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POINT DE VUE

Florilège des discours inacceptables sur le repli du marché immobilier résidentiel

Henry Buzy-Cazaux Président fondateur de l'institut du management des services immobiliers Membre du Conseil National de l'Habitat (CNH) Président de Partage+ ©DR

On pourrait en sourire et en tout cas ne pas s'en lasser : les discours sur la baisse du nombre de transactions en logements dans notre pays, à hauteur de -30%, sont ingénieux et pour ne pas désespérer Billancourt, que n'imaginerait-on pas ? Tout un vocabulaire est disponible et on puise dedans à l'envi. Le secteur est résilient, que voulez-vous qu'il lui arrive ?

Ce mot magique tient lieu d'auto-réalisation, comme certains se croient immortels. C'est d'ailleurs savoureux : le terme, exhumé par le neurologue Boris Cyrulnik dans les années 90, terme utilisé par les physiciens à l'origine, est mis à toutes les sauces, bien loin du concept de départ. Vous avez trop bu et vous êtes toujours droit ? Résilient vous dis-je, à l'instar du « Le poumon, le poumon », cause universelle identifiée par les médecins imposteurs du Malade imaginaire. On a aussi droit à la valeur refuge, en général étayée par la dernière étude, confirmant toutes les précédentes, sur l'amour des Français pour la pierre. On assimile un peu vite les souhaits, la demande exprimée et la demande solvable. On n'en est pas à ça près, pourvu que l'opinion soit rassurée, et les bataillons professionnels dans la foulée. On entend aussi les plus anciens arguer de la cyclicité, inéluctable et qu'il suffit de laisser s'accomplir, telle une migraine ou un rhume qu'on soigne finalement en vain.

Il est à craindre que ces mots sur les maux ne les guérissent pas. Pis encore : qu'ils inclinent à la cécité sur ce qui se passe vraiment. Il n'est question ni de pleurer ni de se morfondre, mais de diagnostiquer sans complaisance, comme un médecin le fait, pour trouver ensuite la bonne prescription. Oui, la baisse de l'ordre de 30% des ventes et des achats de logements neufs et existants a de quoi inquiéter. Elle porte préjudice aux projets immobiliers des ménages, elle menace les emplois et les entreprises de la filière et elle assèche les rentrées fiscales de l'État et des collectivités locales. La totale. Parce que la situation a cette gravité, il importe de ne pas se payer de mots, c'est-à-dire se complaire dans des discours inadaptés. On en dénoncera trois.

Le premier touche à l'essentiel, les ménages français. En 2022, le pays a enregistré 1,130 million de transactions, performance assimilée à un record ou presque : 2021 avait atteint les 1,2 million. Historiquement, c'en est un, mais cette réalité incline les commentateurs les plus sérieux à soutenir que si le marché perd 20% ou 30% de son souffle, ce sera sans conséquences. Comment ces experts peuvent-ils négliger que l'essentiel des ventes et des achats correspondent à des situations de vie contraintes, heureuses ou malheureuses, un couple qui se forme ou se sépare, une naissance ou un décès, la mobilité professionnelle ? Si le marché a atteint ce niveau d'activité, c'est que le pays en avait besoin, et que les circonstances l'ont simplement permis, pas occasionné. La démographie de la France, la vigueur de ses entreprises, les changements de modes de vie et le nouvel aménagement du territoire qui s'impose, les évolutions sociales diverses, bref rien de luxueux mais des nécessités impérieuses. On peut juste sortir de cette logique les résidences secondaires, qui relèvent de l'hédonisme pur. Ceux qui prétendent que le ralentissement du moment ne gênera personne se perdent dans la macro-économie et en oublient qu'elle est l'addition de situations micro-économiques. Ceux-là s'abîment dans un curieux paradoxe. Filons la métaphore médicale : que penser du médecin qui, reconnaissant la faiblesse du patient, lui lance « Avouez que jusqu'alors vous étiez en grande forme et que cela ne pouvait pas durer ! ».

On assiste aussi à des analyses qui empruntent au registre terrible de la purification ethnique : la crise va nettoyer le secteur immobilier des mauvais acteurs qui ont fleuri quand tout allait bien. Comment soutenir cette thèse ? Tout au plus peut-on affirmer que les plus prévoyants ont capitalisé leur société, et qu'à cet égard ils ont fait preuve de plus de prévoyance. Pour le reste, quand un agent immobilier a préféré des négociateurs salariés, estimant qu'il serait ainsi davantage en mesure de garantir une qualité normée en imposant des méthodes et de la formation, il a détérioré son agilité économique, avec des charges fixes considérables : beaucoup de ceux-là sont en train d'en faire les frais. Qui dirait que ce sont des mauvais ? Il faut aussi se garder du mépris de ces femmes et de ces hommes travailleurs indépendants, agents commerciaux de la transaction, qui partent sur la pointe des pieds parce qu'ils ne réalisent plus de transaction, ou que leurs clients n'obtiennent pas les crédits, et qu'ils partent sans coup férir vers un autre secteur, pour pouvoir continuer à faire face à leurs charges. Pour tous ceux-là, gardons-nous des propos injustes et cruels.

Enfin, les discours sur les prix sont hors sol. Là encore, on déroule des théories qui ne sauraient récapituler ma situation. Au nom de l'offre et de la demande, et du manque de logements en France, les prix n'auraient aucune raison de baisser. Outre que les chiffres actuels font mentir cette approche, elle n'est pas tenable. Si le demande n'a pas les moyens financiers de mener à bien une transaction, elle se réalisera pas. Et si ses moyens par rapport à son projet sont réduits par la hausse des taux, il faudra bien que les prix redonnent tout ou partie du pouvoir d'achat perdu à cause de l'enchérissement du crédit.

Dénoncer les discours faciles, c'est également vouloir qu'on ne donne pas aux décideurs publics une lecture qui les autorise à la légèreté ou à une conscience atténuée. L'heure est à la lucidité, sans filtre.

Photo | Henry Buzy-Cazaux Président fondateur de l'institut du management des services immobiliers Membre du Conseil National de l'Habitat (CNH) Président de Partage+ ©DR

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