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POINT DE VUE

Inflation et logement : l'arbre qui cache la forêt

Henry Buzy Cazaux, Président de l'institut du management des services immobiliers

L'inflation fait rage. Elle nous touche tous. Nous devons faire face à des augmentations du prix des carburants, de l'énergie, des denrées alimentaires, des matières premières, des taux d'intérêt des crédits.sans bénéficier de l'inflation des revenus.

Dans ce contexte inédit, le gouvernement prépare un projet de loi relatif à la protection du pouvoir d'achat des ménages, et l'on sait que le logement n'en sera pas oublié. La question des locataires et de l'évolution des loyers selon un indice de révision sensible à l'inflation est centrale. Celle des accédants à la propriété présentant un risque affecté d'un mauvais coefficient, à cause de faibles revenus ou d'une situation professionnelle manquant de stabilité, n'est pas à négliger non plus : elle renvoie au taux d'usure fixé par la Banque de France, plafond que les établissements financiers ne peuvent dépasser. Aujourd'hui à 2,40%, ne rendant pas compte des taux majorés par l'inflation parce calculé sur des données antérieures, il conduit les emprunteurs les moins solvables à être éconduits et à être empêchés de devenir propriétaires. Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a reconnu qu'une réflexion était menée pour en modifier le calcul, en le connectant de façon plus actuelle à l'inflation constatée, et pour le rehausser. La même Banque de France pointe la dérive des impayés bancaires de l'ordre de 10% en six mois, touchant pour la première fois les remboursements de crédit immobilier, alors que les seuls crédits à la consommation étaient jusqu'alors concernés lorsque la conjoncture se dégradait.

Bref, on s'agite pour que les circonstances économiques du moment ne causent pas trop de dégâts et ne mettent pas trop d'individus et de familles en difficulté quant à leur logement. Tout cela est bel et bien. Les pouvoirs publics sont là dans leur rôle d'urgentistes, qu'ils auront décidément dû jouer plus souvent qu'ils ne l'auraient jamais imaginé. Le problème, c'est que le conjoncturel cache le structurel, alors qu'il devrait à l'inverse en révéler les failles : comment comprendre qu'une hausse de taux de l'ordre de 35 points de base alors que s'écrivent ces lignes, ou une augmentation de loyer de 4% émeuvent à ce point et si vite ? Pourquoi la moindre augmentation du moindre matériau a-t-elle un impact aussi destructeur sur les ventes ? L'explication est simple : les prix des logements rapportés aux capacités contributives des ménages sont si élevés, l'effort budgétaire à déployer est si considérable que le moindre dérèglement de l'équation est insupportable. Les sujets de fond, à force de n'avoir pas été traités, ont créé cette situation tendue. Une production qui n'a cessé de baisser au cours des cinq dernières années, mais qu'on reconnaissait insuffisante auparavant ; une explosion du prix des terrains que rien n'a endiguée ni seulement ralentie au cours des vingt dernières années ; une mobilisation inefficace du parc résidentiel vacant, obsolète au plan technique, nécessitant des investisseurs soutenus et encouragés par une fiscalité adaptée. D'ailleurs, un édifice fiscal lui-même à rebâtir et à moderniser dans son ensemble pénalise la vigueur du marché et étouffe les initiatives des producteurs comme des propriétaires.

L'arbre est en train de cacher la forêt. À bon compte, le gouvernement se voile la face, ou du moins tait les maux fondamentaux. Pis encore, il donne le sentiment que tout irait plutôt bien si l'inflation ne nous éprouvait pas. En fait, si les bases étaient saines, on ne pâtirait pas de l'inflation aussi douloureusement. L'inflation ne fait qu'accentuer les effets de causes à l'oeuvre depuis longtemps. Du coup, des signaux se renforcent : les retards de paiement des prêts, des loyers, des charges de copropriété, ou encore la casse des dossiers de crédit, avec des projets compromis, les marges des promoteurs et des constructeurs mises à mal et menaçant la santé des entreprises, mais ce ne sont que les symptômes de dérèglements infiniment plus graves. Des signaux forts par rapport au danger de l'inflation, faibles par rapport aux cancers les plus ancrés. Un avantage tout de même : il va être difficile de dire cette fois-ci pour la communauté professionnelle de se satisfaire du court terme en sacrifiant le long terme. Car enfin, n'est-elle pas un peu tombée dans ce piège quand elle a brandi les transactions en nombre croissant pendant la pandémie, les prix orientés à la hausse, comme des preuves de la grande santé du secteur ? N'a-t-elle pas couru le risque, avéré par l'absence de ministre du logement dans le premier gouvernement Borne, de démontrer qu'il n'y avait pas de problème de logement dans notre pays ? Un peu comme ces malades convalescents qui prennent un mieux pour la guérison.

L'inflation pourrait avoir une vertu, la seule au demeurant, celle de faire se pencher le médecin au chevet du patient logement et de découvrir que les souffrances du moment en scellent d'autres, plus terribles. La perte de la majorité absolue pour l'exécutif pourrait aussi provoquer une prise de conscience que les grandes préoccupations des ménages ont été négligées. Une politique du logement ambitieuse et refondatrice relève désormais de l'urgence démocratique.

Photo | Henry Buzy Cazaux, Président de l'institut du management des services immobiliers

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