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POINT DE VUE

Discours sur les logements vacants : où va se loger la mauvaise foi ?

L'actuel ministre de la ville et du logement n'a pas échappé à ce qui semble relever de la règle : il y a toujours un moment où un responsable public, jusqu'au porteur du dossier du logement au gouvernement, pointe la mobilisation des logements vacants comme la solution aux difficultés de se loger dans notre pays.

La logique est imparable et elle réapparaît le plus souvent après la présentation annuelle par la Fondation Abbé Pierre de son rapport de référence sur le mal logement. Elle y dénonce inlassablement l'indignité d'un pays dans lequel on s'accommode de voir dans la rue des sans-abris et de savoir que des millions de ménages vivent dans un logement inadapté, insalubre, indécent, trop petit, à plusieurs heures de leur travail. Ainsi donc, il y aurait des salauds qui préfèrent pour des raisons condamnables, obscures en tout cas, ne pas louer plutôt que de rendre service à la collectivité. On n'a d'ailleurs pas l'impression que la Fondation Abbé Pierre s'en satisfasse et on n'a pas lu qu'elle s'enthousiasmait après les déclarations du ministre en charge du logement.

Julien Denormandie a enfourché le cheval de bataille de la lutte contre la vacance à son tour. Il n'est pas le premier et ne sera pas le dernier. Pourtant, les arguments sont bien minces et il faut du courage pour aller au front avec des armes si fragiles. D'abord, combien de logements sont-ils vacants en France ? On l'ignore. La preuve ? Les dissonances entre les sources, en soi toutes crédibles : Julien Denormandie, s'appuyant sur l'Agence nationale pour le logement (ANAH) et sur l'INSEE - qui ne réalise plus d'enquête logement exhaustive du parc depuis vingt ans, faute de budget, et travaille sur des échantillons et du déclaratif- parle de 200000 unités. Le rapport qui lui a été rendu par le député Nogal naguère en compte 130000. Michel Mouillart, figure de la science économique du logement, est encore d'un autre avis. Il est temps de confier à une autorité indépendante l'estimation de ces logements vacants...et surtout mobilisables. La chaire Immobilier et développement durable de l'ESSEC serait bien placée pour réaliser ce travail, entre autres institutions estimables et crédibles. Il semble qu'elle y soit candidate.

Car enfin, où sont donc ces logements que leurs propriétaires choisiraient de ne pas louer alors qu'ils pourraient les mettre sur le marché ? Et qui sont ces fous malveillants ? On distingue, depuis un rapport public rendu en 1991 par deux inspecteurs généraux du logement, dont les derniers lecteurs vivants ont dépassé la cinquantaine, trois types de vacance : la vacance technique, la vacance de friction et la vacance spéculative. La première concerne les logements qui ne sont pas habitables en l'état, par exemple parce qu'ils dégradés, vétustes, insalubres, obsolètes, et qu'il faut un délai incompressible pour les rénover, aussi pour que les fonds nécessaires soient réunis. Certes, si l'on aide financièrement les propriétaires concernés, les délais peuvent s'en trouver réduits. Il faut aussi placer dans cette catégorie les locaux non destinés à l'habitation qu'on voudrait faire muter en logements et qui exigeraient une restructuration et une requalification. On peut légitiment classer dans la vacance technique les logements dont la situation juridique est telle qu'ils ne peuvent non plus être loués, indivisions ou successions en cours de liquidation essentiellement. Vient ensuite la vacance entre deux locations, parce que le marché n'est pas demandeur ou que le bien ne présente pas toutes les qualités requises. On parle trop souvent du marché de la capitale ou des grandes villes, dans lesquelles les files d'attente pour un même logement sont longues : toutes les autres villes fonctionnent de manière moins fluide et la vacance entre deux périodes d'occupation y est fréquente, sans pathologie de marché particulière.

Enfin, la vacance spéculative désigne des situations dans lesquelles le propriétaire décide de ne pas louer, pour des raisons qui ne renvoient qu'à sa volonté et à ce qui la détermine. On cite pêle mêle l'impayé de loyer qui a laissé des cicatrices et dissuadé des vocations de bailleurs, l'envie de vendre pour profiter de la plus-value considérable en marché tendu et par conséquent le besoin que le logement soit disponible, ou encore la négligence de celui qui par paresse ne recherche pas de nouvel occupant. Ce dernier lot mérite qu'on s'y attarde. Déjà, il n'existe pas dans les portefeuilles des professionnels, qui se rémunèrent sur les flux de loyer et ne saurait encourager un propriétaire à laisser en jachère son bien. Quant aux bailleurs qui ne passent pas par un professionnel, leur non-sens s'en absente-t-il pour autant ? Un logement improductif a un coût, entre la taxe foncière, la taxe sur la vacance éventuellement, les charges de copropriété -dont la partie récupérable ne pourra être récupérée sur personne- et les avaries techniques liées à l'inutilisation ou les sinistres aggravés, tels les dégâts des eaux, pour n'avoir pas été signalés par l'occupant.

Et puis, sans rien négliger de ce qui pourrait contribuer à loger les ménages, la vacance n'est pas à la mesure des enjeux. Entendre que la mobilisation du parc existant conduirait à moins construire et donc à freiner ou annuler l'artificialisation des sols et à réduire le préjudice des travaux d'édification sur la couche d'ozone, ressortit à l'imposture et à la malhonnêteté intellectuelle. Passons sur la menace de réquisition : déplacée et dangereuse. Nos besoins en logements nouveaux sont de l'ordre de 450000 unités par an au bas mot...contre 200000 logements à tout casser au total issus de la mobilisation du parc vacant. Curieusement, le gouvernement ressort cette vieille lune alors que son bilan sur la construction est mauvais : pour 2018 et 2019, les baisses de mises en chantier sont en baisse de près de 10% par exercice. En gros, 100000 logements, sociaux et privés, maisons individuelles et appartements, n'auront pas été construits ni livrés, parce que les aides ont été restreintes et parce que les maires, qui délivrent les permis de construire, auront été malmenés avec notamment la suppression de la taxe d'habitation, qui constituait 34% de leurs ressources. Le plan action coeur de ville, pour rénover des logements obsolescents dans des villes moyennes endormies, la mobilisation de la vacance tous azimuts, rien ne remplacera le dynamisme cassé de la construction. Le gouvernement aura beau faire diversion, il ne fera pas oublier l'essentiel. Son bilan sur le sujet de l'abondement de l'offre est mauvais. Les logements vacants ne doivent pas être le lieu de la politique où se loge la mauvaise foi.

Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers, président du think tank « République et logement » - 06 16 02 68 45

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