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RÉFORME

La charrue avant les boeufs

Le moins qu'on puisse dire est que la communauté immobilière ne vit pas de lune de miel avec le pouvoir actuel, qu'on parle des acteurs du privé ou de ceux du logement public. C'est surprenant parce qu'Emmanuel Macron était le seul candidat à l'élection présidentielle à avoir préparé un programme à part entière pour le logement et que ce projet avait rallié les suffrages. Alors comment en est-on arrivé à cette dégradation des relations avec les forces vives du secteur, des associations aux collectivités locales en passant par les organisations professionnelles ? Comment l'actif a-t-il si vite été consommé ?

D'abord, il faut reconnaître qu'en politique il y a loin de la coupe aux lèvres : un programme présidentiel trace les grandes lignes de l'action et c'est lorsqu'il s'agit de le mettre en musique qu'on mesure vraiment ce qu'il est est et quelles seront ses conséquences réelles. Il a fallu que des dispositions concrètes soient annoncées, fiscales ou civiles, pour que les professionnels et les ménages estiment ce que l'exécutif avait en tête. Et c'est là que les Athéniens s'atteignirent... Ensuite, il faut admettre que tout Président et tout Premier ministre qui prennent leurs fonctions, aussi avisés qu'ils aient été des affaires du pays, découvrent crument l'état des finances publiques et doivent ajuster leurs intentions originelles. En l'occurrence, c'est une impasse budgétaire de 3 milliards qui s'est fait jour quand Édouard Philippe est arrivé à Matignon. Pour finir, pas de mandat impératif en France et une totale liberté d'un Président élu de respecter ou pas ses engagements de campagne, pour le logement comme dans tous les domaines.

Dans le cas d'Emmanuel Macron, la situation s'est corsée à cause d'une méthode de gouvernement qui a heurté : peu de concertation et des oukases qui sont tombés les uns après les autres, qui plus est égrenés comme les gouttes d'un supplice chinois, de la réduction autoritaire des 5€ d'APL à l'IFI en passant par la modification du Pinel, du PTZ et du CITE ou encore par la baisse drastique obligée des loyers HLM.

Incontestablement, le Président Macron et son équipe sont des réformateurs. Incontestablement, la France du logement a besoin de réformes et les figures du secteur elles-mêmes ne le contestent pas. Par exemple, le grand soir fiscal est nécessaire : le logement coûte à l'État en allègements divers et en dotations budgétaires 42 milliards...et rapporte avec un décalage de deux ou trois exercices de l'ordre de 70 milliards. Que le Président de la République et les esprits rationnels qui l'entourent veuillent sortir de cette situation singulière dans laquelle il faut exposer une dépense collective pour constater qu'elle est neutralisée et bien au-delà par les rentrées est normal. Seulement voilà : retirer la perfusion alors que l'organisme s'est habitué depuis quarante ans bien pesés à ce mécanisme et à ce cycle infernal exige du discernement. Même chose pour les affaires juridiques : l'ALUR a modifié en profondeur le fonctionnement de la copropriété, que le gouvernement se dit prêt à bouleverser encore, par ordonnance qui plus est.

Réformer nécessite deux précautions si l'on veut que le corps social, constitué des ménages et des entreprises du secteur, adhèrent et suivent : un échange didactique sans brutalité et surtout le respect d'un ordre de facteurs. Il faut que les engagements de changement soient clairs, connus, programmés, avant qu'on ne prive le secteur de ce qu'il a et dont il est familier. Retourner la terre pour qu'elle soit meuble et pour se faire ne pas mettre la charrue avant les boeufs. Le précepte est paysan, mais il vaut pour tous les territoires et tous les domaines de l'action publique. On a d'ailleurs le sentiment que le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, sans enfreindre en rien la solidarité envers le Chef de l'État ou son Premier ministre, est favorable à cette méthode de bon sens, ne ménageant pas sa peine pour apaiser les relations entre un exécutif fougueux et les corps intermédiaires : ils se sentent malmenés sans que le cap des réformes n'ait été tracé. Il est urgent de travailler avec eux à la feuille de route et ils ne s'opposeront pas à dérouter le navire pour qu'il arrive à bon port en profitant de vents plus favorables, qui éprouvent moins son accastillage et sa coque.

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